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telle ou telle simplification de l expérience antérieure, destinée à compléter
l'expérience du moment ; en cela consiste ici la fonction du cerveau. Nous ne
pouvons aborder la discussion de la théorie qui veut que le cerveau serve à la
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 95
conservation du passé, qu'il emmagasine des souvenirs comme autant de
clichés photographiques dont nous tirerions ensuite des épreuves, comme
autant de phonogrammes destinés à redevenir des sons. Nous avons examiné
la thèse ailleurs. Cette doctrine a été inspirée en grande partie par une certaine
métaphysique dont la psychologie, et la psycho-physiologie contemporaines
sont imprégnées, et qu'on accepte naturellement : de là son apparente clarté.
Mais, à mesure qu'on la considère de plus près, on y voit s'accumuler les
difficultés et les impossibilités. Prenons le cas le plus favorable à la thèse, le
cas d'un objet matériel faisant impression sur l'Sil et laissant dans l'esprit un
souvenir visuel. Que pourra bien être ce souvenir, s'il résulte véritablement de
la fixation, dans le cerveau, de l'impression reçue par l'Sil ? Pour peu que
l'objet ait remué, ou que l'Sil ait remué, il y a eu, non pas une image, mais dix,
cent, mille images, autant et plus que sur le film d'un cinématographe. Pour
peu que l'objet ait été considéré un certain temps, ou revu à des moments
divers, ce sont des millions d'images différentes de cet objet. Et nous avons
pris le cas le plus simple !  Supposons toutes ces images emmagasinées ; à
quoi serviront-elles ? quelle est celle que nous utiliserons ?  Admettons
même que nous ayons nos raisons pour en choisir une, pourquoi et comment
la rejetterons-nous dans le passé quand nous l'apercevrons ?  Passons encore
sur ces difficultés. Comment expliquera-t-on les maladies de la mémoire ?
Dans celles de ces maladies qui correspondent à des lésions locales du
cerveau, c'est-à-dire dans les aphasies, la lésion psychologique consiste moins
dans une abolition des souvenirs que dans une impuissance à les rappeler. Un
effort, une émotion, peuvent ramener brusquement à la conscience des mots
qu'on croyait définitivement perdus. Ces faits, avec beaucoup d'autres, con-
courent à prouver que le cerveau sert ici à choisir dans le passé, à le diminuer,
à le simplifier, à l'utiliser, mais non pas à le conserver. Nous n'aurions aucune
peine à envisager les choses de ce biais si nous n'avions contracté l'habitude
de croire que le passé est aboli. Alors, sa réapparition partielle nous fait l'effet
d'un événement extraordinaire, qui réclame une explication. Et c'est pourquoi
nous imaginons çà et là, dans le cerveau, des boîtes à souvenirs qui conser-
veraient des fragments de passé,  le cerveau se conservant d'ailleurs lui-
même. Comme si ce n'était pas reculer la difficulté et simplement ajourner le
problème ! Comme si, en posant que la matière cérébrale se conserve à travers
le temps, ou plus généralement que toute matière dure, on ne lui attribuait pas
précisément la mémoire qu'on prétend expliquer par elle ! Quoi que nous
fassions, même si nous supposons que le cerveau emmagasine des souvenirs,
nous n'échappons pas à la conclusion que le passé peut se conserver lui-même,
automatiquement.
Non pas seulement notre passé à nous, mais aussi le passé de n'importe
quel changement, pourvu toutefois qu'il s'agisse d'un changement unique et,
par là même, indivisible : la conservation du passé dans le présent n'est pas
autre chose que l'indivisibilité du changement. Il est vrai que, pour les change-
ments qui s'accomplissent au dehors, nous ne savons presque jamais si nous
avons affaire à un changement unique ou à un composé de plusieurs mouve-
ments entre lesquels s'intercalent des arrêts (l'arrêt n'étant d'ailleurs jamais que
relatif). Il faudrait que nous fussions intérieurs aux êtres et aux choses, comme
nous le sommes à nous-mêmes, pour que nous pussions nous prononcer sur ce
point. Mais là n'est pas l'important. Il suffit de s'être convaincu une fois pour
toutes que la réalité est changement, que le changement est indivisible, et que,
dans un changement indivisible, le passé fait corps avec le présent.
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 96
Pénétrons-nous de cette vérité, et nous verrons fondre et s'évaporer bon
nombre d'énigmes philosophiques. Certains grands problèmes, comme celui
de la substance, du changement, et de leur rapport, cesseront de se poser. Tou-
tes les difficultés soulevées autour de ces points  difficultés qui ont fait
reculer peu à peu la substance jusque dans le domaine de l'inconnaissable 
venaient de ce que nous fermons les yeux à l'indivisibilité du changement. Si
le changement, qui est évidemment constitutif de toute notre expérience, est la
chose fuyante dont la plupart des philosophes ont parlé, si l'on n'y voit qu'une
poussière d'états qui remplacent des états, force est bien de rétablir la
continuité entre ces états par un lien artificiel ; mais ce substrat immobile de la
mobilité, ne pouvant posséder aucun des attributs que nous connaissons 
puisque tous sont des changements  recule à mesure que nous essayons d'en
approcher : il est aussi insaisissable que le fantôme de changement qu'il était
appelé à fixer. Faisons effort, au contraire, pour apercevoir le changement tel
qu'il est, dans son indivisibilité naturelle : nous voyons qu'il est la substance
même des choses, et ni le mouvement ne nous apparaît plus sous la forme
évanouissante qui le rendait insaisissable à la pensée, ni la substance avec
l'immutabilité qui la rendait inaccessible à notre expérience. L'instabilité
radicale, et l'immutabilité absolue ne sont alors que des vues abstraites, prises
du dehors, sur la continuité du changement réel, abstractions que l'esprit
hypostasie ensuite en états multiples, d'un côté, en chose ou substance, de
l'autre. Les difficultés soulevées par les anciens autour de la question du mou-
vement et par les modernes autour de la question de la substance s'évanouis-
sent, celles-ci parce que la substance est mouvement et changement, celles-là
parce que le mouvement et le changement sont substantiels.
En même temps que des obscurités théoriques se dissipent, on entrevoit la
solution possible de plus d'un problème réputé insoluble. Les discussions
relatives au libre arbitre prendraient fin si nous nous apercevions nous-mêmes
là où nous sommes réellement, dans une durée concrète où l'idée de déter-
mination nécessaire perd toute espèce de signification, puisque le passé y fait
corps avec le présent et crée sans cesse avec lui  ne fût-ce que par le fait de
s'y ajouter  quelque chose d'absolument nouveau. Et la relation de l'homme à
l'univers deviendrait susceptible d'un approfondissement graduel si nous
tenions compte de la vraie nature des états, des qualités, enfin de tout ce qui se
présente à nous avec l'apparence de la stabilité. En pareil cas, l'objet et le sujet
doivent être vis-à-vis l'un de l'autre dans une situation analogue à celle des
deux trains dont nous parlions au début : c'est un certain réglage de la mobilité
sur la mobilité qui produit l'effet de l'immobilité. Pénétrons-nous alors de cette
idée, ne perdons jamais de vue la relation particulière de l'objet au sujet qui se
traduit par une vision statique des choses : tout ce que l'expérience nous
apprendra de l'un accroîtra la connaissance que nous avions de l'autre, et la
lumière que celui-ci reçoit pourra, par réflexion, éclairer celui-là à son tour.
Mais, comme je l'annonçais au début, la spéculation pure ne sera pas seule
à bénéficier de cette vision de l'universel devenir. Nous pourrons la faire
pénétrer dans notre vie de tous les jours et, par elle, obtenir de la philosophie [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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