Henry d Albaret sonna.
Un timonier parut.
« Qui est venu ici pendant que j étais sur le pont ? demanda
Henry d Albaret.
Personne, mon commandant, répondit le matelot.
Personne ?& Mais quelqu un n a-t-il pas pu entrer ici,
sans que tu l aies vu ?
Non, mon commandant, puisque je n ai pas quitté cette
porte un seul instant.
C est bien ! »
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Le timonier se retira, après avoir porté la main à son béret.
« Il me paraît impossible, en effet, se dit Henry d Albaret,
qu un homme du bord ait pu s introduire par la porte, sans avoir
été vu ! Mais, à la chute du jour, n a-t-on pu se glisser jusqu à la
galerie extérieure et entrer par une des fenêtres du carré ? »
Henry d Albaret alla vérifier l état des fenêtres-sabords qui
s ouvraient dans le tableau de la corvette. Mais ces fenêtres,
aussi bien que celles de sa chambre, étaient fermées intérieure-
ment. Il était donc manifestement impossible qu une personne,
venue du dehors, eût pu passer par l une de ces ouvertures. Ce-
la, en somme, n était pas de nature à causer la moindre inquié-
tude à Henry d Albaret ; de la surprise tout au plus, et peut-être
ce sentiment de curiosité non satisfaite qu on éprouve devant un
fait difficilement explicable. Ce qui était certain, c est que, d une
façon quelconque, la lettre anonyme était arrivée à son adresse,
et que le destinataire n était autre que le commandant de la Sy-
phanta. Henry d Albaret, après y avoir réfléchi, résolut de ne
rien dire de cette affaire, pas même au second de la corvette. À
quoi lui eût servi d en parler ? Son mystérieux correspondant,
quel qu il fût, ne se ferait certainement pas connaître.
Et maintenant, le commandant tiendrait-il compte de l avis
contenu dans cette lettre ?
« Certainement ! se dit-il. Celui qui m a écrit la première
fois, à Scio, ne m a pas trompé en m affirmant qu il y avait une
place à prendre dans l état-major de la Syphanta. Pourquoi me
tromperait-il la seconde, en m invitant à rallier l île de Scarpan-
to dans la première semaine de septembre ? S il le fait, ce ne
peut être que dans l intérêt même de la mission qui m est
confiée ! Oui ! Je modifierai mon plan de campagne, et je serai,
à la date fixée, là où l on me dit d être ! »
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Henry d Albaret serra précieusement la lettre qui lui don-
nait ces nouvelles instructions ; puis, après avoir pris ses cartes,
il se mit à étudier un nouveau plan de croisière, afin d occuper
les quatre mois qui restaient à courir jusqu à la fin d août.
L île de Scarpanto est située dans le sud-est, à l autre ex-
trémité de l Archipel, c est-à-dire à quelque centaine de lieues
en droite ligne. Le temps ne manquerait donc pas à la corvette
pour visiter les diverses côtes de la Morée, où les pirates trou-
vaient à se réfugier si facilement, ainsi que tout ce groupe des
Cyclades, semées depuis l ouvert du golfe Égine jusqu à l île de
Crète.
En somme, cette obligation de se trouver en vue de Scar-
panto, à l époque indiquée, n allait que fort peu modifier
l itinéraire établi déjà par le commandant d Albaret. Ce qu il
avait résolu de faire, il le ferait, sans avoir rien à retrancher de
son programme. Aussi la Syphanta, à la date du 20 mai, après
avoir observé les petites îles de Pélerisse, de Pépéri, de Sarakino
et de Skantxoura, dans le nord de Nègrepont, alla-t-elle prendre
connaissance de Scyros.
Scyros est l une des plus importantes des neuf îles qui for-
ment ce groupe, dont l antiquité aurait peut-être dû faire le do-
maine des neuf Muses. Dans son port de Saint-Georges, sûr,
vaste, de bon mouillage, l équipage de la corvette put facilement
se ravitailler en vivres frais, moutons, perdrix, blé, orge, et
s approvisionner de cet excellent vin qui est une des grandes
richesses du pays. Cette île, très mêlée aux événements semi-
mythologiques de la guerre de Troie, qui fut illustrée par les
noms de Lycomède, d Achille et d Ulysse, allait bientôt revenir
au nouveau royaume de Grèce dans l éparchie de l Eubée.
Comme les rivages de Scyros sont extrêmement découpés
en anses et criques, dans lesquelles des pirates peuvent aisé-
ment trouver un abri, Henry d Albaret les fit minutieusement
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fouiller. Tandis que la corvette mettait en panne à quelques en-
cablures, ses embarcations n en laissèrent pas un point inexplo-
ré.
De cette sévère exploration il ne résulta rien. Ces refuges
étaient déserts. Le seul renseignement que le commandant
d Albaret recueillit auprès des autorités de l île, fut celui-ci :
c est qu un mois auparavant, dans ces mêmes parages, plusieurs
navires de commerce avaient été attaqués, pillés, détruits par un
bâtiment, naviguant sous pavillon de pirate, et que cet acte de
piraterie, on l attribuait au fameux Sacratif. Mais, sur quoi repo-
sait cette assertion, nul n eût pu le dire, tant il régnait
d incertitude touchant l existence même de ce personnage.
La corvette quitta Scyros, après cinq ou six jours de relâ-
che. Vers la fin de mai, elle se rapprocha des côtes de la grande
île d Eubée, aussi appelée Nègrepont, dont elle observa soigneu- [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]